Les Français ont été amenés à refuser des missions fixées par les Américains Le Monde
9 Mars, 2002Depuis le début de leur intervention, il y a une semaine, aux côtés des Américains, dans la région de Gardez, les avions français n'ont pas accompli toutes les missions qui leur avaient été confiées par le haut-commandement militaire des Etats-Unis. Sans en préciser le nombre, les responsables militaires français conviennent qu'ils ont été amenés à refuser certains des bombardements qu'on leur avait demandé d'exécuter, en raison de divergences d'appréciation avec les Américains sur l'impact potentiel de ces missions.
A ce jour, les avions Super-Etendard et Mirage 2000D ont réalisé une vingtaine de missions et traité plus d'une douzaine de cibles, avec, en particulier, le largage de bombes de 250 kg guidées par laser.
Les plans de frappes comprennent des cibles programmées, suffisamment à l'avance à Tampa (Floride) et à Al-Kharg (Arabie saoudite), et ce qu'on appelle, dans les états-majors, des objectifs "d'opportunité" qui se révèlent parfois au moment de l'exécution de la mission elle-même, parce que la situation sur le terrain a changé.
Au-dessus de Gardez, là où les avions américains œuvrent avec les seuls appareils français, le choix des cibles est validé par l'état-major français qui a reçu des consignes du pouvoir politique, à l'Elysée et à Matignon. Ce sont, pour la plupart, des bombardements d'"opportunité" qui ont fait l'objet de refus de la part des Français. La raison avancée porte sur les conditions de l'engagement et la "vraisemblance" de l'objectif retenu.
C'est ainsi que les Français ont refusé des frappes qui entraînaient un risque important pour les populations. Comme, par exemple, le cas d'un groupe de commandement des talibans proche d'un village, voire dans le village. De même, les combattants hostiles au régime de Kaboul, dans le secteur de Gardez, vivent et se déplacent avec leurs familles, ce qui occasionne des méprises lors de tirs qui seraient insuffisamment ajustés.
EMPECHER LE RAVITAILLEMENT
Les équipages d'avions américains sont conduits à prendre, ou non, à leur compte les raids en question. Les états-majors français observent toutefois que le commandement américain essaie désormais de leur affecter des missions et des modalités d'attaque dont il est sûr qu'elles seront accomplies sans coup férir, par les Mirage 2000D, basés au Kirghizstan, et les Super-Etendard embarqués sur le Charles-de-Gaulle. Le porte-avions a pris la relève du Franklin-Rooseveltaméricain, qui a quitté la zone.
Outre la destruction des forces talibanes, les opérations terrestres et aériennes en cours ont pour but de rendre très difficiles le renfort et le ravitaillement des combattants jusqu'à leur fuite hors de la région où ils se sont regroupés pour le moment.
Dans les grottes où elles ont pu pénétrer, les unités américaines, allemandes, australiennes, canadiennes, danoises et norvégiennes ont découvert des stocks importants d'armement, de vivres et des réserves d'eau. Certains indices tendent à montrer que l'armement et la logistique proviennent de la zone frontalière hors du contrôle de l'armée régulière pakistanaise. D'autres renseignements font état du fait que la poche de résistance n'est pas aussi hermétiquement close ou surveillée qu'on le ferait croire au Pentagone ; et que, notamment de nuit, des combattants, par petits groupes ou individuellement, parviennent à s'exfiltrer, au risque de parvenir à créer ailleurs de nouvelles zones d'insécurité.
A la lumière de la double bataille autour de Kunduz, en 1988, face aux Russes, puis en novembre 2001, face à l'Alliance du Nord, les états-majors français se déclarent convaincus que la forte rébellion rencontrée dans la région de Gardez est liée à la présence de combattants qui, étrangers à l'Afghanistan, n'ont plus rien à perdre.
Jacques Isnard